Olivier Jeannel : « Pour moi vraiment, la situation de handicap, c’est d’abord une question : dans quel environnement est-ce que nous vivons ? ».
Carte blanche à Olivier Jeannel
Olivier Jeannel : « Je suis Olivier Jeannel, je suis franco-américain, j’habite en France depuis 20 ans. J’ai une surdité profonde depuis l’âge de deux ans. Aujourd’hui, je suis un entrepreneur. J’ai créé une société qui permet aux personnes sourdes et malentendantes comme moi de pouvoir téléphoner. ».
Ça ressemble à quoi, le quotidien d’une personne sourde ?
Olivier Jeannel : « Le quotidien des personnes sourdes et malentendantes, c’est souvent celui de la communication. On peut ne pas se rendre compte de ce que vit une personne dans cette situation… Ce qui peut paraître anodin, normal pour vous, ne l’est pas. Donc l’effort de capter ce qui est dit à l’oral, des informations qui peuvent paraître à la radio, à la télé, sur les annonces publiques, ce n’est pas facile à capter, voire pas du tout captable. Alors une personne dans ma situation lit sur les lèvres pour comprendre, ce qui fait que souvent quand on est en réunion, je peux capter une personne à la fois. Je ne peux pas capter plusieurs personnes qui parlent en même temps. Ce qui fait que, paradoxalement, je suis très bon pour faire en sorte que la réunion tienne le rythme, que chacun comprenne ce que l’autre a dit. Très souvent, le retour des personnes c’est : « Oh, je suis désolé, je n’avais pas compris ! Mais vous n’avez pas à être désolé ! C’est juste que la situation est compliquée. Par contre, avec un peu de bon sens, et puis peut-être avec de la technique, on peut très bien comprendre ce qui se passe autour de nous. Pour moi, vraiment, la situation de handicap, c’est est d’abord une question : dans quel environnement est-ce que nous vivons ? ».
Pouvoir téléphoner, c’est important ?
Olivier Jeannel : « Aujourd’hui, beaucoup de démarches se font par téléphone, beaucoup de liens se font par téléphone, que ce soit avec les proches de la famille ou les services administratifs ou le service client. Donc le téléphone aujourd’hui n’a pas disparu, malgré les SMS, le mail, les applications. On a toujours besoin de téléphoner. ».
L’envie d’entreprendre ça t’est venu comment ?
Olivier Jeannel : « Alors, quand j’étais étudiant aux États-Unis à l’université de Berkeley, c’était au milieu du premier “Dotcom Boom” des années 99-2000. C’est là que j’ai attrapé le virus de l’entrepreneuriat et pour moi, ça a été vraiment une prise de conscience de ce qu’on pouvait faire, chacun, pour changer la donne. A mon arrivée en France, j’arrive à Sciences Po. Là, ça a été un peu le choc parce qu’aux Etats-Unis, j’ai eu l’habitude qu’on me propose des services pour que je puisse étudier. Donc en France, à Sciences Po, j’ai notamment dû aller chercher des services et j’ai dû demander aux autres élèves dans les cours s’ils pouvaient prendre les notes pour moi et ça, c’est pour moi un premier pas, un premier déclic vers ce que je pouvais être en tant qu’entrepreneur. C’est-à-dire que j’ai proposé à l’école de créer un site web d’information pour que les gens sachent à qui s’adresser pour avoir de meilleurs services d’accompagnement durant leurs études. Effectivement, plusieurs années plus tard, en 2011, je voir sortir Siri sur le smartphone. Je vois plein de gens acheter des smartphones. Je me suis dit que la reconnaissance vocale pouvait rendre visuellement ce que je ne comprends pas. Sous-titrer les conversations, notamment au téléphone. Et c’est là que je me lance dans l’aventure. ».
Diriger une entreprise quand on est sourd, ça se passe comment ?
Olivier Jeannel : « Typiquement, j’utilise beaucoup l’écrit, mais c’est une culture qui est favorable à la co-construction, la co-création en interne dans une entreprise. On passe sur des documents collaboratifs, sur des outils collaboratifs… La messagerie interne, les espaces partagés qui permettent à tout le monde de savoir ce qui se passe, d’être plusieurs à collaborer. Est-ce que c’est meilleur pour tout le monde ? Je pense que oui. ».
La tech, c’est une partie de la solution ?
Olivier Jeannel : « La technologie n’est pas une réponse à tout. Il faut vraiment avoir du bon sens. Comprendre la personne en face, il faut comprendre l’environnement dans lequel on est et à partir de là, on se dit : quelles sont les solutions qu’on peut apporter ? Elles peuvent être technologiques, elles peuvent être humaines. On propose les sous-titres au téléphone instantanés, automatiques. On donne aussi accès à des interprètes en langue des signes et à du code LPC, ce qui permet aux gens d’avoir une accessibilité totale à tous les moyens de communication. Peu importe comment vous voulez échanger avec les personnes, l’application crée ce lien et permet à tous de communiquer. ».
Et le sport, c’est bon pour l’inclusion ?
Olivier Jeannel : « Pour moi, le sport reste un facteur de lien. Et quand on parle de lien, effectivement, peu importe comment on communique, on a toujours quelque chose à partager ensemble. On transcende les différences grâce au sport. ».
Et toi, tu pratiques quoi ?
Olivier Jeannel : « Je suis un grand amateur des sports de glisse et des sports de montagne. Typiquement, j’aime beaucoup faire de la randonnée, de la marche, de l’alpinisme… Mais j’aime aussi faire du ski ou du surf… Du surf sur l’eau, bien sûr ! On peut penser que ce sont des sports solitaires, mais aucun sport ne se pratique seul. Vraiment, quand on est à l’eau, face à une vague, il faut toujours avoir des camarades autour. Il faut savoir où on en est et quand il y a un danger, que quelqu’un puisse nous secourir. C’est pareil avec l’escalade. Nous sommes toujours deux. Pareil avec la randonnée. Et ça, c’est important, cette solidarité que nous avons autour du sport. Un entrepreneur, comme un sportif, se fixe un objectif avant de se lancer et d’atteindre cet objectif. Il n’est jamais seul, évidemment. Et pour moi, c’est vraiment ça qui est clé à la réussite. ».